Forêt cinéraire : une nouvelle pratique funéraire qui cherche à s’implanter en France

Venu d’Allemagne, le concept de forêt cinéraire cherche ses marques pour son application en France. En effet, cette nouvelle pratique funéraire se heurte à la législation et au manque de consensus. Pourra-t-on bientôt, et sous quelles conditions, se faire inhumer en forêt sur le territoire français ?

Un concept venu d’Allemagne

Du point de vue du droit public allemand, une forêt cinéraire est considérée comme un cimetière

Note du Sénat, commandée par le sénateur du Bas-Rhin André Reichardt, en avril 2022

En Allemagne, il est possible de reposer dans une forêt depuis 2001. Le concept est simple : des urnes biodégradables, contenant les cendres des défunts, sont inhumées au pied des arbres, sur lesquels une petite plaque est accrochée. Autour, le calme, le bois et la verdure : aucune fleur, pierre, couronne ou bougie ne sont autorisées.

Ces forêts sont une centaine, disséminées dans tout le pays. Elles sont gérées par les communes comme des cimetières : les concessions sont vendues dans des espaces définis et encadrés. En Allemagne, la législation funéraire est propre à chaque land, contrairement à la France, où elle est nationale. « Du point de vue du droit public allemand, une forêt cinéraire est considérée comme un cimetière », indique la note du Sénat, commandée par le sénateur du Bas-Rhin André Reichardt, en avril 2022, pour mieux connaître ce dispositif d’outre-Rhin.

C’est dans le land du Hesse (centre de l’Allemagne) que la première forêt cinéraire a vu le jour en 2001, à Kassel. Dans cette région, à Nidderau, les arbres peuvent accueillir jusqu’à douze urnes, en cercle, « à une profondeur d’au moins 0.65 mètre ». Seules les urnes biodégradables sont acceptées et le droit d’occupation est de 25 ans (il peut être prolongé). Il y est interdit de décorer les arbres, de modifier la zone racinaire ou le sol forestier. Une fleur unique peut être déposée le jour de l’anniversaire de naissance ou de décès. La redevance est fixée à 229 euros pour les frais d’inhumation, la plaquette fabriquée par la commune coûte 15 euros et l’occupation de l’arbre vaut 884 euros par personne et 10 607 euros pour 12 places.

Dans le land de Bade-Wutemberg, la commune de Freiamt (à cinquante kilomètres de Colmar) propose trois types d’arbres : un arbre de repos familial pour 99 ans (huit urnes), un arbre de repos communautaire pour 50 ans (huit urnes) et un arbre de repos dédié aux enfants -jusqu’à six ans- pour 50 ans (huit urnes). La note du Sénat indique que cette forêt cinéraire « a vocation à rester la plus naturelle possible et ne doit être ni dégradée ni modifiée ». Comme ailleurs, aucun objet n’est autorisé auprès des arbres sauf la pierre commémorative en grès uniforme, proposée par la commune, qui rappelle qu’ « une forêt cinéraire est un lieu dans lequel des événements naturels peuvent avoir lieu » et qu’ « un arbre de repos peut tomber malade, être endommagé par une tempête ou être détruit ». A 30 km de la frontière française, la ville de Freiamt s’engage à replanter un arbre si l’un d’entre eux est détruit et propose trois catégories d’arbres à des prix différents (une place dans un arbre communautaire coûte de 500 à 900 euros et un arbre familial vaut de 4000 à 7200 euros pour huit urnes).

Initiatives françaises

En France, plusieurs communes lancent leur propre forêt cinéraire mais se heurtent à la législation. La loi ne prévoit en effet que deux statuts pour les cendres des défunts. L’inhumation, d’abord, qui suppose que les cendres doivent pouvoir être exhumées, ce que les urnes biodégradables rendent impossible. La dispersion, ensuite. « Une urne biodégradable est une urne qui peut être utilisée pour une dispersion en pleine nature ou en pleine terre, dit le Guide de recommandations, relatif aux urnes funéraires et aux sites cinéraires, du ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, publié en 2018. L’enfouissement d’une urne biodégradable en pleine terre peut être assimilé à une dispersion de cendres. Elle n’a pas vocation à donner lieu à une exhumation. » Mais la dispersion ne peut être facturée : « Elle doit être gratuite et ne peut donner lieu à la matérialisation d’une sépulture », indique la proposition de loi du Sénat, visant à « autoriser la création de forêts cinéraires » déposée en mai 2022 et en attente d’examen.

La forêt cinéraire d’Arbas (Haute-Garonne), a ouvert en 2019 et vendu 53 concessions d’arbres, avant de suspendre le site, dans l’attente de clarifications avec l’Etat. Le plastique, les fleurs, les croix y sont interdits et chaque arbre peut accueillir jusqu’à dix urnes. « Le projet ne rentre pas dans le cadre de la réglementation funéraire », affirme Jean-Philippe Dargent, sous-préfet de Saint-Gaudens. Pour le premier adjoint et ancien maire de la commune d’Arbas, François Arcangeli, il n’y a aucun sens à inhumer des urnes non biodégradables. « L’esprit, c’est de ne pas modifier le site, affirme-t-il. Et le risque, c’est que des urnes en terre cuite remontent à la surface au bout de quelques décennies. Alors que les urnes en lin, comme les nôtres, disparaissent. Il y a des flous dans la loi et donc des interprétations. » La commune prévoit de rouvrir le site d’1,25 hectare au printemps 2023.

L’inhumation d’une urne biodégradable est une voie que le droit n’appréhende pas.

Xavier Anonin, avocat au barreau de Paris, spécialisé dans le funéraire confirme le vide juridique

Xavier Anonin, avocat au barreau de Paris, spécialisé dans le funéraire confirme le vide juridique : « L’inhumation d’une urne biodégradable est une voie que le droit n’appréhende pas. »  Afin de ne pas exposer les communes à de futurs contentieux, il considère nécessaire une consultation globale des acteurs du secteur funéraire dans le but de penser des alternatives qui ne se cantonnent pas à l’échelon communal.

La commune de Muttersholtz (Bas-Rhin) a de son côté opté pour des urnes non-biodégradables, afin de répondre aux exigences de la législation, qui demande que l’inhumation soit réversible. Les urnes sont en matériaux naturels : pierre, terre cuite et bois imputrescible. « Nous voulons préserver la forêt et offrir une alternative au mode d’inhumation traditionnel et minéral », explique Julien Rodrigues, directeur général des services de la ville de Muttersholtz. Dans cette forêt alsacienne, qui ouvrira au printemps 2023, les arbres pourront accueillir jusqu’à douze concessions, et coûteront de 400 à 800 euros pour les habitants (de 800 à 1200 euros pour les autres).

« Plusieurs forêts cinéraires sont en réflexion ailleurs en France », affirme Elia Conte, opératrice funéraire et consultante en développement durable, qui a accompagné la commune d’Arbas dans son projet de forêt cinéraire depuis 2019. « En Allemagne, l’approche au vivant et au développement durable est différente de la nôtre, poursuit-elle. Et dans d’autres pays, il n’y a pas besoin de cimetières alternatifs car ils sont déjà naturels, comme en Angleterre. »